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A Hambourg, des réfugiés et des migrants de tous pays se sont réunis pour s’exprimer
LE MONDE | 29.02.2016 à 06h54 • Mis à jour le 29.02.2016 à 12h47 |
Par Frédéric Lemaître (Hambourg, Envoyé spécial)
Certains sont venus d’Italie, de France, de Grande-Bretagne, de Tunisie, de Pologne, du Danemark, de Belgique et, bien entendu, d’autres villes d’Allemagne. En tout, plus de 1 600 réfugiés et militants se sont retrouvés du 26 au 28 février, à Hambourg, pour participer à une « conférence internationale des réfugiés et des migrants », au moment où l’Europe ferme de plus en plus ses portes. Des Togolais, Camerounais, Maliens, Syriens, Afghans, Roms, Erythréens, Ghanéens, Irakiens… Souvent sans papiers, toujours sans argent, nombre d’entre eux ont pris le risque de franchir une ou plusieurs frontières pour s’exprimer et donner une autre image d’eux-mêmes que celle véhiculée par les discours politiques.A l’origine de cette rencontre : les « Lampedusa à Hambourg », des Africains qui, après être arrivés en Italie en 2011, ont fini par se retrouver dans ce port de la Baltique où ils ont déjà mené plusieurs actions sous le mot d’ordre : « Nous sommes ici pour rester. » Puissamment aidés par le théâtre de Kampnagel – un des quatre théâtres publics de Hambourg – qui a mis sa logistique à leur disposition, les « Lampedusa » ont réuni 70 000 euros (dont 24 000 apportés par la fondation Robert Bosch) pour payer le déplacement et les repas des participants. Côté hébergement : les 800 personnes qui ne venaient pas de Hambourg ont été, pour la plupart, logées chez des particuliers. Les débats en séance plénière (traduits en sept langues par des bénévoles) et les ateliers de travail furent plus consensuels qu’on aurait pu le penser.
Alors que dans les foyers, la cohabitation entre catholiques et musulmans ou entre Arabes et Africains n’est souvent pas facile, les participants ont su faire taire ces divergences. Tous portent deux revendications principales : la liberté de circulation et la liberté d’installation.
« Comment se fait-il que dans l’espace Schengen, nous n’ayons souvent pas le droit de sortir de la préfecture [en France] ou de l’Etat-région [en Allemagne] ? », observe Sisseko, un militant parisien de la Coalition internationale des sans-papiers et migrants (CISPM).
Lors de la conférence internationale des réfugiéset des migrants à Hambourg, des participants dessinent unebannière le 27 février 2016.
Née en 2011 à l’initiative de réfugiés en France et en Italie, la CISPM est désormais présente dans plusieurs pays européens et commence à être reconnue par les autorités européennes. Bien sûr, ces réfugiés sont les mieux placés pour savoir que leurs revendications ne sont pas vraiment dans l’air du temps. Patrick, membre italien de la CISPM, juge même qu’après la fermeture de la frontière autrichienne au col du Brenner, « il y a un autre Lampedusa en train de se constituer dans le nord-est du pays ».
L’égoïsme de l’Europe
Les réfugiés n’ont évidemment pas la même approche de la situation que les Occidentaux. « Moi, en 2008, il m’a fallu près d’un an pour passer de la Turquie à la Grèce. Maintenant, il suffit de quelques jours », se félicite Adam, un Africain qui vit à Berlin. Loin de s’en prendre aux passeurs, tous dénoncent l’agence Frontex, créée par l’Union européenne pour protéger les frontières, et s’en prennent à l’égoïsme de l’Europe. « C’est depuis la conférence de Berlin en 1885 que l’Afrique est dans une situation chaotique. Il faut réécrire une histoire de l’Allemagne et de l’Afrique et procéder à la réconciliation », juge Emmanuel, de la République démocratique du Congo, en référence à la réunion organisée par le chancelier Bismarck qui va favoriser le partage de l’Afrique entre les puissances coloniales. « On chasse les migrants mais dans le même temps, des entreprises européennes achètent nos terrains pour produire des denrées destinées à l’exportation. La population est sans terre », poursuit-il.
Mais migrer vaut-il vraiment le coup ? « Mourir en mer parce qu’on fuit la guerre, cela ne marche pas. J’essaie de dissuader les gens de venir. Il faut surtout se battre pour la démocratie dans nos pays », constate une Africaine immigrée à Londres. Pour tenter de limiter les naufrages en Méditerranée, « 120 militants répartis dans 14 pays ont créé en octobre 2014 Alarm Phone, un numéro d’urgence. Quand on nous appelle d’un bateau, on connaît immédiatement sa position et on alerte les secours. On a déjà reçu 5 000 appels », explique Mouni, un Tunisien.
Les problèmes commencent bien avant l’Europe. « Je suis venu en Europe tellement les Algériens et les Marocains sont racistes », témoigne Dao, un Malien, réfugié en Allemagne. « Au Maroc, on tue les migrants »,affirmeTrésor, un Camerounais. Partout, la situation ne peut que s’aggraver. « Vu les conflits au Moyen-Orient et les différences de revenus entre l’Afrique et l’Europe, la vague migratoire va se poursuivre », quelles que soient les mesures prises par l’Union européenne, juge Ali, un des organisateurs de la conférence. Signe qu’ils n’attendent rien des politiques, aucun n’a été invité à s’exprimer. Prochain rendez-vous : à l’automne, à Berlin.
Frédéric Lemaître (Hambourg, Envoyé spécial) journaliste